La Sécurité économique et sociale agit en redistribuant de la richesse entre les entreprises sur la base du nombre d’emplois et des flux de trésorerie que chacune d’entre elles réalise. Bien qu’elle n’agisse pas directement sur les salaires, la mise en place de cette mesure ne peut que contribuer à la revalorisation des rémunérations salariales.
Nous vivons dans ce qui est communément appelé une économie de marché. Elle peut se définir comme étant la liberté pour chacun de produire ce qu’il souhaite afin d’obtenir une rémunération et de dépenser ou d’épargner ce qu’il a gagné comme il l’entend. Dans une économie totalement libre, on aurait exclusivement affaire à des individus totalement autonomes contractualisant les uns avec les autres. Dans la réalité, la production est principalement et très largement majoritairement assurée par des regroupements de personnes qu’on appelle communément « entreprises » (marchandes ou non marchandes).
Le salaire est l’élément central du contrat de travail
Il existe différentes formes d’entreprises, de la plus petite à la plus grande. Le travailleur indépendant constitue en lui-même une entreprise : il est responsable de sa production et de ses ventes et ce sont ses succès ou échecs commerciaux qui déterminent sa rémunération. Hormis le concept de travailleurs associés (comme dans les coopératives de travail ou les cabinets de professions libérales de type conseil ou architectes), le salariat est la relation contractuelle la plus courante pour les organisations qui réunissent plusieurs personnes. Dans ce cas, le travailleur passe un contrat avec l’entreprise dans lequel il s’engage à travailler un certain nombre d’heures qu’il accomplira sous la direction exclusive de l’entreprise (il n’est donc plus « indépendant ») en échange de quoi l’entreprise lui garantit par avance une rémunération fixe sous forme de salaire. Comme aucune entreprise – qu’elle soit ou non à but lucratif – n’a vocation à perdre de l’argent, elle ne signera un contrat de travail avec un salaire donné que si elle est raisonnablement sûre que ce salarié générera, à un horizon plus ou moins proche, plus de valeur que le coût salarial.
La prédominance de la relation salariale dans nos économies ne contredit pas sa caractérisation en tant qu’économie de marché. D’une part, la liberté de contractualiser est étendue de l’individu à l’organisation. Ensuite, et quels que soient les rapports de force entre les uns et les autres, l’individu est globalement libre de choisir son travail ou même de devenir travailleur indépendant. Mais si l’individu veut être salarié, il lui faut alors trouver un employeur qui accepte de l’intégrer dans son collectif de travail. De ce point de vue, l’économie de marché se caractérise donc toujours comme une économie d’individus libres de contracter comme ils l’entendent, cette liberté s’étendant à la constitution de nouvelles organisations qui deviennent des personnes morales.
L’économie de marché sans régulations n’est pas le bonheur pour toutes et tous
Si on considère la relation salariale comme un contrat libre entre un individu et une organisation, on sait aussi que cette liberté pour tous n’implique pas nécessairement la possibilité pour tous de vivre dignement. La raison de cette situation s’explique par la dissymétrie profonde des rapports de force entre les individus et les employeurs. Les employeurs sont des organisations disposant de matériels, de savoir-faire, de notoriété commerciale qui leur permettent d’être compétitifs sur le marché et de vendre leurs produits et prestations à un prix très compétitif. L’individu isolé n’a pas les mêmes possibilités. Seules quelques niches de marché très particulières sont disponibles pour des travailleurs indépendants, parfois rémunératrices, mais généralement moins que les fonctions analogues exercées en salarié chez un employeur au point pour certains d’être contraints à la plus grande précarité.
C’est le besoin de sécurité de revenu qui explique que le salariat est devenue la relation de travail majoritaire dans la société et que dans cette relation, l’avantage est à l’employeur.
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Insuffisances du droit du travail
C’est dans ce contexte que des législations spécifiques aux relations de travail se sont mises en place pour tenter de rééquilibrer les rapports de force. Elles portent sur les modalités d’entrée et de sortie des individus de l’entreprise – notamment les licenciements – ainsi que sur des salaires minimums. Ceux-ci peuvent s’appliquer à l’ensemble d’un pays quel que soit le secteur économique ou se définir par des conventions collectives se rapportant à un secteur donné et établissant un salaire minimum selon chaque qualification. Si ces législations sur le montant du salaire minimum ont été nécessaires pour prévenir différents abus afin que le travail soit rémunéré dignement, il n’en reste pas moins que la précarité, la pauvreté et l’exclusion de l’emploi continuent de se développer.
La faiblesse fondamentale des dispositifs de protection existants tient au fait qu’ils contraignent les organisations employeuses et limitent leur liberté d’action, mais ne les incitent nullement à embaucher, voire même peuvent parfois les dissuader. Très concrètement, si une entreprise n’a pas l’opportunité d’avoir une activité qui permette de rémunérer une personne au salaire minimum, elle s’abstiendra tout simplement d’embaucher et procédera parfois à des stratégies de contournement en recourant à de l’auto-entrepreneuriat qui ne relève pas du droit du travail et ne garantit donc pas de rémunération minimum. En conséquence, le droit du travail n’apporte aucune réponse permettant de faire en sorte que l’ensemble des entreprises embauchent la totalité de la population active, ce qui résoudrait le phénomène du chômage de masse. De même, toute la sphère des travailleurs indépendants n’est nullement protégée par le salaire minimum qui ne concerne que les travailleurs à statut de salarié.
Rendre effectif le salaire minimum dans un contexte de plein emploi
Certains pensent que le marché du travail est un marché comme un autre et que, de ce point de vue, l’encouragement à l’emploi passe par la limitation, voire la suppression du salaire minimum. La proposition de loi pour une Sécurité économique et sociale repose plutôt sur l’idée de permettre au salaire minimum d’être effectif pour tous.
Avec la Sécurité économique et sociale, chaque employeur (ou travailleur indépendant) recevrait ainsi une allocation mensuelle fixe pour tout emploi en équivalent temps plein. Une partie du coût du salaire serait donc prise en charge par le montant de cette alloc emploi. Le financement de ces allocations emploi ne reposerait pas sur l’impôt et ne passerait pas par l’État, mais reposerait sur une caisse inter-entreprises alimentée par des contributions obligatoires de chaque entreprise à hauteur d’un pourcentage de la richesse qu’elle produit. Très concrètement, l’idée de la Sécurité économique et sociale est de considérer que le marché du travail n’est pas un marché comme un autre et que pour garantir l’inclusion et la dignité de chacun, il faut mettre hors marché une partie de la richesse produite par le secteur privé pour la répartir de façon égalitaire entre celles et ceux qui l’ont produite.
Le cas évoqué plus haut d’une entreprise qui n’est pas capable de générer une richesse suffisante pour employer une personne au Smic trouve ici sa résolution : une partie du salaire minimum est prise en charge par l’ensemble des entreprises, l’entreprise qui emploie n’ayant plus qu’à en assurer le complément. Ce système permet de contrecarrer la prise en compte de la contrainte du chômage dans la définition du niveau du salaire minimum. La Sécurité économique et sociale permet donc, si besoin est, de remonter le niveau du salaire minimum tout en s’assurant que toute personne qui souhaite un emploi puisse en obtenir un.
Du plein emploi vers l’emploi choisi
Le niveau de l’alloc emploi (et donc du pourcentage de contribution obligatoire des entreprises) relève du débat politique et est donc déterminé par les parlementaires. Plus le niveau de l’allocation est fort et plus les entreprises seront en mesure de proposer un large choix d’emplois. La Sécurité économique et sociale permettrait donc d’obtenir, dans un premier temps, le plein emploi. Si par la suite, l’alloc emploi est encore augmentée, les individus seront alors en mesure d’exercer un véritable choix de leur emploi. Le choix de l’emploi est toujours un arbitrage de l’individu entre plusieurs paramètres parmi lesquels on peut citer :
- Le sens du travail pour la société (personne ne souhaite exercer un emploi inutile voire nuisible pour la société) ;
- La qualité du travail (des déplacements domicile-travail limités, une bonne ambiance entre collègues, un travail qui n’épuise pas l’individu physiquement ou moralement) ;
- La rémunération (pour les deux critères pré-cités et égalisés, n’importe quel individu choisira l’emploi qui offrira le meilleur salaire).
Avec la SES, on bascule vers une société de l’emploi choisi qui permettra de rééquilibrer les rapports de force entre les employés et les employeurs : ce ne seront plus les entreprises qui choisiront les individus mais ces derniers qui pourront plus facilement choisir leur entreprise.
D’un côté, on mutualise une part de l’économie privée pour la répartir de façon égalitaire entre tous ceux qui produisent. De l’autre, il reste une large part reposant sur l’économie de marché telle que décrite précédemment.
L’alloc emploi contribuera à revaloriser les salaires
Cette société sera non seulement celle de l’emploi choisi, mais aussi celle des bons salaires. C’est le niveau de l’allocation décidé politiquement qui fera l’arbitrage sur le bon équilibre à trouver. Certains pousseront fortement la roue dans le sens de l’emploi choisi alors que d’autres préféreront calmer le jeu avec une alloc emploi modérée. Ces derniers argumenteront qu’aller du plein emploi à l’emploi choisi engendrera des transferts plus importants entre les entreprises au détriment d’entreprises performantes. À l’inverse, les premiers mettront en avant que plus l’alloc emploi sera élevée, plus les contributions seront élevées, ce qui favorisera l’investissement des entreprises.
L’économie et la société ont longtemps reposé sur le féodalisme et l’asservissement des populations. Le capitalisme a permis de sortir du féodalisme, mais a créé d’autres dépendances à son employeur, aux capitaux et aux machines. Le développement de la mutualisation par l’impôt et les cotisations sociales a permis à tous les individus et la société toute entière, riches y compris, de mieux se porter.
Ne peut-on pas continuer à progresser avec le plein emploi et de bons salaires en poursuivant cette dynamique de mutualisation qui nous a réussis ?
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Photo de Karolina Grabowska: https://www.pexels.com/fr-fr/photo/mains-main-shopping-affaires-4968639/