On oppose fréquemment aux mesures sociales les effets négatifs qu’elles auraient sur l’emploi, notamment parce que ces dernières sont souvent financées par des prélèvements. À l’inverse, la Sécurité économique et sociale n’est pas un prélèvement supplémentaire mais une mutualisation entre entreprises. L’ampleur de cette mutualisation sera l’objet d’un débat politique où, contrairement à ce qu’on peut penser au premier abord, le moins-disant social ira contre le dynamisme économique. Jusqu’où cela sera-t-il possible ?
La proposition de Sécurité économique et sociale met hors marché une partie de la production privée pour la répartir de façon égalitaire entre celles et ceux qui y ont participé. Le principe de base de la Sécurité économique et sociale est le versement à toute entreprise d’une allocation fixe et mensuelle par emploi en équivalent temps plein. Ces allocations sont financées par les entreprises elles-mêmes par une contribution égale à un pourcentage de la richesse qu’elles produisent. L’économique et le social ne sont donc plus en opposition.
Régime obligatoire ?
Il s’agit d’un régime obligatoire dans lequel les entreprises déclarent à la fin de chaque mois, d’une part, le nombre de personnes employées et, d’autre part, la richesse qu’elle a réalisée. Le régime fonctionnant sur un budget équilibré – la totalité des contributions doit être égale à la totalité des allocations – ceci signifie que, selon leurs déclarations mensuelles, certaines entreprises recevront de l’argent du système (bénéficiaires nettes) alors que d’autres seront contributrices nettes.
Si, pour beaucoup, le terme de « régime obligatoire » est synonyme de prélèvements supplémentaires et donc rebuter, il n’en est rien de la Sécurité économique et sociale qui est une redistribution entre entreprises. Dans la réalité, ce régime bénéficiera à une majorité d’entreprises car la valeur ajoutée par salarié est généralement plus importante dans les grandes entreprises que dans les petites qui, elles, sont plus nombreuses.
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Créer une solidarité entre les entreprises
La vocation de la Sécurité économique et sociale (SES) est de partager une part à déterminer de la richesse entre entreprises sur la base du nombre de personnes employées et ce tous secteurs économiques confondus. En effet, il s’avère qu’il existe une grande disparité de valeur ajoutée par secteur économique et que cette répartition de la valeur réalisée par le marché ne favorise pas toujours les métiers les plus utiles au pays.
L’actualité récente, entre les pertes d’exploitation des entreprises dans le Pas-de-Calais, l’interdiction de la vente d’huîtres dans le bassin d’Arcachon, ou encore la colère des agriculteurs quant à leurs revenus en baisse, nous montre l’urgence de mettre place une solidarité permanente entre toutes les entreprises qui garantisse une partie des revenus des travailleurs, salariés et non salariés. Au-delà de la solidarité entre entreprises que va générer la Sécurité économique et sociale, celle-ci encouragera, d’une façon générale, la hausse des salaires ou revenus d’activité de nombreuses personnes.
Trop de solidarité ? Un débat politique ouvert
Certains pourraient contester ces transferts entre entreprises au nom de l’efficacité économique. Est-il normal que des entreprises performantes – qui réalisent une forte valeur ajoutée par personne – soient ponctionnées au profit d’entreprises moins performantes ?
La Sécurité économique et sociale ne fait aucune préconisation en termes de montant d’allocation et donc de pourcentage de contribution. Cette question sera du ressort du débat parlementaire. On peut aisément penser que certains seront favorables à des allocations élevées, ce qui induira des taux de contribution importants, alors que d’autres seront plus prudents.
La Sécurisation des entreprises
Pour assurer une allocation au niveau actuel du salaire minimum, le taux de contribution devra être de 36 % de la richesse produite par l’entreprise. Un tel taux peut paraître très élevé sauf qu’aucune entreprise ne sera mise à contribution à ce niveau puisque parallèlement l’entreprise percevra une allocation pour chacun de ses emplois. L’entreprise qui serait contributrice nette ne versera que le solde entre contribution et allocations et inversement, l’entreprise qui serait bénéficiaire nette ne percevra que le solde entre allocations et contribution.
Ce dispositif est profondément dynamique. En effet, de nombreuses entreprises seront, selon leur cycle de vie, parfois contributrices nettes et parfois bénéficiaires nettes, ceci au gré de leur niveau d’emploi et de conjonctures favorables ou moins défavorables. Une entreprise en panne saisonnière ou en période creuse verra sa contribution baisser automatiquement du fait du ralentissement des encaissements, mais continuera à percevoir ses allocations si elle n’a pas licencié entre-temps. Il est donc possible qu’une entreprise qui est contributrice nette à un moment donné le soit moins un petit peu plus tard et même qu’elle devienne de facto bénéficiaire nette. On peut donc considérer qu’une contribution nette s’apparente à une assurance pour le cas où l’entreprise passerait un cap difficile.
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En finir avec le chômage de longue durée
Par ailleurs, la Sécurité économique et sociale réduit le risque inhérent à l’emploi. En effet, lorsque l’employeur salarie une personne, elle s’engage à lui payer un salaire quel que sera le comportement économique de l’entreprise. L’entreprise assume donc un risque réel dès lors que les ventes attendues ne sont pas au rendez-vous, et cela pour des raisons dont il est très difficile de dire si elles lui incombent ou pas. C’est la raison pour laquelle la Sécurité économique et sociale défend l’idée du partage du risque entre l’entreprise qui emploie et l’économie en général.
Une partie du salaire est couverte par l’allocation emploi, ce qui réduit d’office le risque de l’emploi. La contrepartie du versement de cette allocation est une contribution d’un pourcentage de la richesse que l’entreprise va produire. Cette contribution n’annule en aucune façon l’intérêt de l’allocation : en effet, l’entreprise est en train d’échanger quelque chose d’incertain (ce qu’elle va produire) contre quelque chose de garanti qui est l’allocation emploi. La Sécurité économique et sociale incitera donc les entreprises à proposer plus d’offres d’emplois qu’il n’ y en a actuellement, ce qui conduira à réduire le chômage.
Le chômage de longue durée est un fléau autant pour notre société que pour les individus qui en sont victimes. Ces personnes, souvent très éloignées de l’emploi, dépendent de minima sociaux qui ne leur permettent pas de vivre dignement. Cette exclusion d’une fraction de la population du processus productif est une perte pour la société toute entière qui se prive de cette force de travail sans oublier le coût de l’aide sociale pour les finances publiques.
Une revalorisation des minima sociaux ?
Une approche exclusivement sociale de la question voudrait que l’on augmente significativement les minima sociaux. Il n’est pas certain, pour les raisons de coût évoquées ci-dessus, que la majorité des français soit d’accord avec cette idée, ce qui explique en partie pourquoi ces minima sont si bas. L’approche de la Sécurité économique et sociale est, comme son nom l’indique, à la fois sociale et économique. Elle permet à plus de personnes de participer au processus productif en garantissant de meilleurs revenus d’activité. Vertueux pour les personnes concernées, vertueux pour les entreprises encouragées à recruter, et vertueux aussi pour les finances publiques puisque plus d’emplois générera plus de cotisations sociales et diminuera le recours aux minima sociaux.
Une contribution, mais pas seulement
Comme nous l’avons évoqué, l’alloc emploi de la Sécurité économique et sociale n’est pas assurée par des prélèvements supplémentaires mais par la mutualisation d’un pourcentage de la richesse qu’elles ont produite. On mesure généralement la richesse produite par une entreprise par sa valeur ajoutée nette, autrement dit la production de l’entreprise de laquelle on déduit les coûts induits par celle-ci, à savoir les composants utilisés ainsi que l’usure des équipements de longue durée (amortissements).
La Sécurité économique et sociale mesure cette richesse produite par une notion qui s’en rapproche fortement : les Flux de trésorerie d’activité (FTA). D’une façon simple, les FTA se définissent comme étant la différence entre les encaissements de factures clients et de subventions et les paiements de factures fournisseurs et d’impôts. On pourrait interpréter ces FTA comme étant la valeur ajoutée nette disponible en trésorerie pour l’entreprise.
Un financement mutualisé des investissements
Cette contribution sur les FTA (qui est une différence entre encaissements et paiements) peut se reformuler comme étant, d’une part, une contribution sur les encaissements et, d’autre part, une aide sur les paiements. Lorsque l’entreprise achète un équipement qu’elle compte utiliser sur une longue période, la logique comptable tend à répartir la charge que constitue cet achat sur cette même période (amortissement). En utilisant les flux de trésorerie en lieu et place de la valeur ajoutée, cet équipement est immédiatement déduit des FTA au moment de son paiement. Si le pourcentage de contribution choisi par le débat parlementaire est de 30 %, il y aura donc une aide immédiate égale à 30 % du prix de la machine. Pour le dire plus simplement, si la machine coûte 100 000 euros, cette aide sera de 30 000 euros et l’entreprise n’aura plus qu’à trouver un financement, non pas sur 100 000 euros mais 70 000 euros.
Autrement dit, la Sécurité économique et sociale est doublement positive pour l’entreprise :
- Par l’allocation emploi qui sécurise une partie du salaire ;
- Et par une aide à l’investissement.
Il y a un continuum entre l’emploi et les achats interentreprises (dont les investissements). L’entreprise qui a fabriqué la machine a été aidée dans les emplois qui ont permis de fabriquer celle-ci. Si nous restons dans l’hypothèse d’une contribution de 30 %, cette aide correspond à 30 % de la moyenne de ce que produit un travailleur dans le pays. La contrepartie de cette aide se réalise dans la vente de la machine de 100 000 euros : l’entreprise vendeuse est alors ponctionnée de 30 000 euros sur cette vente alors qu’à l’inverse, l’entreprise acheteuse est aidée de ces mêmes 30 000 euros puisque désormais elle prend sur elle le risque de posséder cette machine et de devoir transmettre sa valeur dans des ventes ultérieures qui seront elles aussi ponctionnée à 30 %.
Le système de Sécurité économique et sociale est ainsi un formidable outil de financement mutualisé de l’emploi et de l’investissement.
Un débat politique à mener sur la base de l’expérimentation
Moins de social peut vouloir dire moins de dynamisme économique
Le pourcentage des contributions, et donc le montant des allocations, relèvent du débat parlementaire et de l’intervention des différents acteurs économiques. Il est tout à fait possible, au nom de la protection des entreprises performantes, de vouloir réduire au maximum ces paramètres. Mais plus ceux-ci seront faibles et se rapprocheront de zéro, plus nous serons exactement dans la même situation qu’aujourd’hui, à savoir un chômage de longue durée qui gangrène la société. Et inversement, plus ceux-ci seront forts et plus les entreprises seront solides tant à l’égard de leurs difficultés passagères qu’aidées dans le financement de leurs emplois et de leurs investissements. Pour le dire différemment, plus la Sécurité économique et sociale sera forte et plus l’entrepreneuriat sera favorisé car les emplois comme les achats des entreprises (dont l’investissement) seront aidés.
Ici, le social n’est donc nullement contradictoire avec le dynamisme économique et les moins-disants sociaux pourraient en être pour leurs frais. Le volet social viendra renforcer la résilience des entreprises et promouvoir le volet économique.
Jusqu’où cette logique fonctionnera-t-elle ?
La Sécurité économique et sociale ne remet pas en cause les principes de l’économie marchande, elle se contente de les cantonner à la partie non mutualisée de l’économie. Si augmenter la solidarité entre entreprises est propice à l’initiative économique, il est possible qu’à un certain niveau, cela soit contre-productif. Pour pousser le trait, si la partie mutualisée de l’économie tendait vers 100 %, nous serions alors dans le monde d’un salaire égal pour toutes et tous qui serait garanti d’office quel que soit le comportement de l’entreprise. Nous sortirions alors de l’économie de marché pour entrer dans des territoires inconnus et probablement dangereux. De même, il est probable que des taux forts de type 80 % ne soient plus tellement motivants pour les agents économiques que sont les travailleurs, les usagers et les investisseurs. Cela est moins évident pour des taux avoisinant les 50 %.
Un équilibre qui se créera par le débat politique et l’expérimentation
La Sécurité économique et sociale sera un formidable terrain d’expérimentation qui permettra d’allier le social – une société où tout le monde aura sa place et où les inégalités seront réduites – avec le dynamisme de l’économie que l’on définira comme la capacité de celle-ci à entreprendre. La limite de cette logique se situera au moment où la partie non mutualisée de l’économie privée deviendra trop faible ou, pour le dire autrement, au moment où les inégalités seront jugées trop faibles par la population, situation qui est loin d’être la nôtre en ce moment.
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