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par | 7 septembre 2023

Le montant du Smic doit être une question sociale et non économique

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Comme tous les pays ou presque, la France dispose d’une législation instaurant un salaire minimum, dénommé Smic (Salaire Minimum Interprofessionnel de Croissance, anciennement Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti). Ces législations sont un marqueur d’une société socialement évoluée qui considère qu’il est indécent qu’une personne soit payée en dessous d’un certain niveau pour son travail. Pour autant, ces législations sont insuffisantes car sans effet sur le travail indépendant et potentiellement génératrice de chômage, ce qui limite la progression du montant du Smic lorsque cela est socialement nécessaire.  

Le salaire minimum : un principe internationalement établi

Si la Nouvelle-Zélande a été le premier pays à établir une législation un salaire minimum en 1894, tous les pays ou presque ont suivi cette voie : 92 % des 186 États membres de l’Organisation internationale du travail (OIT) en disposent dont la totalité des pays européens. La notion de salaire minimum exprime pour une  société donnée le niveau en dessous duquel on estime qu’il est indécent de payer quelqu’un. Le respect de ce minimum salarial permet de s’assurer qu’une personne employée dans une entreprise recevra une rémunération qui lui permette de vivre décemment. 

En France, le salaire minimum légal est le Smic (Salaire minimum de croissance). C’est le gouvernement qui décide d’augmenter le Smic avec toutefois des règles de revalorisation automatiques en fonction de l’inflation. Ainsi, une augmentation du Smic 2023 a été réalisée au 1er mai : le taux horaire a été fixé à 11,52 euros de l’heure, ce qui correspond à un Smic brut mensuel de 1747,20 euros. Sauf si l’inflation progresse encore dans l’année de plus de 2 %, la prochaine augmentation du Smic aura lieu au 1er janvier 2024. Après déduction des cotisations sociales salariales, cela fait un Smic mensuel net d’environ 1383 euros. À ce salaire brut, s’ajoutent des cotisations sociales patronales d’environ 10 % du brut, ce qui fait que, pour l’entreprise, un salarié au Smic coûte environ 1920 euros. 

L’insuffisance du seul salaire minimum

Il est à noter que ces législations ne peuvent porter que sur le travail salarié, à savoir un travail régi par un contrat entre une entreprise et un individu, dans lequel ce dernier s’engage à travailler sous les ordres de la direction pour un temps déterminé en échange d’une rémunération convenue d’avance. Ces législations ne s’appliquent pas aux travailleurs indépendants, sachant que ceux-ci contrôlent leur propre travail, ils constituent de facto une entreprise et sont donc responsables de leur propre rémunération. Dans les faits, les rémunérations des indépendants sont extrêmement diverses. Certaines professions libérales peuvent générer des revenus substantiels que beaucoup de salariés envient. À l’inverse, de nombreux travailleurs indépendants, notamment dans l’agriculture ou dans l’économie des plate-formes numériques, ne sont pas en capacité d’obtenir de leur travail l’équivalent du salaire minimum. 

Le SMIC, générateur de chômage ?

Ceci nous montre que l’économie marchande n’est pas capable de garantir spontanément que chaque travailleur puisse générer de quoi se payer au salaire minimum. Si l’entreprise n’a pas d’activité permettant de générer de quoi payer le salaire minimum à un travailleur, alors l’entreprise n’embauchera pas. 

C’est la raison pour laquelle le salaire minimum est souvent accusé de générer du chômage. Il existe une littérature très diversifiée autour de cette question. On cite fréquemment l’étude de David Card et Alan Krueger de 1994[ref]David Card et Alan Krueger, « Minimum Wages and Employment: A Case Study of the Fast-Food Industry in New Jersey and Pennsylvania », The American Economic Review, Septembre 1994.[/ref] qui porte sur l’effet positif sur l’emploi d’une hausse du salaire minimum dans l’État du New Jersey aux dépens de l’État voisin de Pennsylvanie qui a laissé le salaire minimum inchangé. 

Un élément principal explique ce phénomène : si le salaire minimum n’est pas assez élevé, de nombreuses personnes refuseront de travailler pour de faibles rémunérations. Dans ce cas-ci, l’augmentation du salaire minimum oblige les entreprises qui le peuvent économiquement à proposer des salaires plus attractifs, ce qui explique la hausse de l’emploi. Mais la question centrale reste de savoir si les entreprises le peuvent ou pas. 

Le livre de Jérôme Gautié, Le salaire minimum et l’emploi[ref]Jérôme Gautié, Le salaire minimum et l’emploi, Presses de Sciences Po, 2020[/ref] fait une revue exhaustive de la question en recensant de nombreuses études sur le sujet. Une réponse centrale faite à cette question est le niveau du Salaire minimum. Si celui-ci est faible, il n’est pas attentatoire à l’emploi et peut même améliorer la croissance car il oblige les entreprises à monter en gamme. Mais à partir d’un certain niveau, il peut sérieusement l’être. À l’appui de cette affirmation, l’auteur prend en exemple la France qui n’a pu maintenir un montant du Smic élevé qu’en pratiquant à partir de 1992 des exonérations de cotisations patronales sur les bas salaires. Alors que le niveau normal de cotisations sociales patronales sur le salaire brut est de l’ordre de 50 %, il n’est plus aujourd’hui que d’environ 10 % au niveau du Smic, ce qui revient dans la pratique à avoir diminué la valeur du Smic.

“Si le niveau du SMIC est faible, il n’est pas attentatoire à l’emploi et peut même améliorer la croissance car il oblige les entreprises à monter en gamme. Mais à partir d’un certain niveau, il peut sérieusement l’être”

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Le SMIC : un débat économique au lieu d’être social

Il existe bien un débat économique autour du niveau du salaire minimum alors que sa vocation est de répondre au souci de cohésion de la société en s’assurant que toute personne qui travaille recevra une rémunération qui lui permettra de vivre décemment. Avec le retour d’une forte inflation, le débat sur une revalorisation du salaire minimum devrait se poser dans chaque pays. 

Dans le cas de la France, si le Smic est réévalué de façon automatique avec l’inflation, il convient de prendre en compte que les prix des secteurs de l’énergie et de l’alimentation, qui occupent une place plus importante chez les ménages modestes, ont augmenté plus que l’indice général des prix. Pour l’année 2022, l’inflation générale a été de 5,2 % alors que les prix de l’alimentation et de l’énergie ont cru respectivement de 17,5 % et 15,2 %. De ce point de vue, une hausse du Smic supérieure à l’inflation moyenne devrait être de mise afin de maintenir son pouvoir d’achat. 

Mettre hors marché une partie de la richesse produite pour maintenir la valeur du Smic

Or ce débat est actuellement interdit et on préfère créer des dispositifs complémentaires tels que les primes d’activité ou les chèques énergie qui s’accumulent les uns aux autres dans une illisibilité totale plutôt que de répondre à ce débat essentiel : en dessous de quel niveau estime-t-on indécent de payer une personne ? Or cette question est polluée par le débat économique qui veut qu’au-delà d’un certain niveau, le salaire minimum générerait du chômage. Dit autrement, si le marché est incapable de garantir spontanément un niveau de revenu décent pour toute personne qui travaille, il nous faut alors intervenir sur les règles du marché. Une solution consiste à mettre hors marché une partie de la production réalisée par l’économie privée pour la distribuer de façon égalitaire entre les individus qui ont participé à cette production. Telle est la fonction de la Sécurité économique et sociale. 

L’intérêt de la Sécurité économique et sociale

Très concrètement, la Sécurité économique et sociale est une proposition de régime obligatoire qui garantit à chaque entreprise, indépendants compris, une allocation-emploi mensuelle par personne employée en équivalent temps plein. Ces allocations-emploi sont financées par les mêmes entreprises au prorata de la richesse qu’elles ont produite. S’il s’avère que le salaire minimum est trop élevé pour que les entreprises puissent embaucher la totalité des personnes qui le souhaitent, on relèvera alors l’allocation-emploi, ce qui diminuera le minimum à réaliser par chaque entreprise pour respecter les législations sur le salaire minimum. Par ricochet, l’augmentation de cette allocation-emploi permettra d’améliorer les revenus des indépendants qui peinent à obtenir l’équivalent du salaire minimum. 

Très concrètement, la Sécurité économique et sociale est une proposition de régime obligatoire qui garantit à chaque entreprise, indépendants compris, une allocation-emploi mensuelle par personne employée en équivalent temps plein.”

Par transferts de flux de trésorerie entre entreprises, la Sécurité économique et sociale facilite le développement de nombreuses activités au point où toute personne souhaitant un emploi pourrait en trouver. Le dispositif de l’allocation-emploi permet de respecter tout niveau de salaire minimum. 

La Sécurité économique permet ainsi de mettre de côté le débat économique sur l’incidence du niveau du Smic sur le chômage en se concentrant sur la seule question qui vaille : en dessous de quel niveau estime-t-on indécent qu’une personne soit payée dans un pays donné ?

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Photo de Towfiqu barbhuiya sur Unsplash

À propos de l'auteur / autrice

Ancien entrepreneur. Co-fondateur de la société Esker en 1985 qu’il a quitté au début des années 2000 au moment où elle employait déjà plus de 300 personnes. Cette expérience professionnelle lui a permis de comprendre la comptabilité et la finance qu’il associera ensuite à l’étude de la macro-économie. Cette triple compétence lui a permis de développer les tutoriels du site www.economie.org. Auteur de Travailler autrement : les coopératives aux Éditions du Détour (2017) et de Au-delà de la propriété, Pour une économie des communs à La Découverte (2018), il a poursuivi sa réflexion dans le cadre de l'élaboration de la Sécurité économique et sociale.

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