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par | 25 septembre 2025

Les Métiers du Lien : porteurs d’humanité mais secteur en crise

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Auxiliaires de Vie Sociale, AESH, Assistantes Maternelles, Aide-Soignants à Domicile, Employés des EHPAD, Travailleurs Sociaux … Les métiers du lien, piliers invisibles de notre société, souffrent de pénurie, de précarité et de dévalorisation. Pourquoi ce secteur essentiel est-il si mal traité ? Que pourrait lui apporter la mise en place de la Sécurité économique et sociale ?

Définition des Métiers du Lien

L’activité des métiers du social, médico-social et de l’aide à la personne ressort en très grande majorité du secteur public ou du secteur associatif à but non lucratif, à part ceux des services d’aide à la vie quotidienne « de confort » (jardinage, bricolage…) qui sont en partie solvabilisés par des aides publiques aux bénéficiaires (crédit d’impôt, exonérations de cotisations sociales, CESU…). Il est à noter qu’une forte proportion, issue de la génération des « boomers » atteint l’âge de la retraite, suscitant un appel d’offres qui peinent à être satisfaites.

Dans le cadre de cette analyse, j’utiliserai l’appellation « Métiers du Lien », adoptée par les députés Bruno Bonnell et François Ruffin au cours d’une mission parlementaire de 2020 et j’y ajouterai donc le champ de ce que l’on appelle « les services sociaux et médico-sociaux » : l’aide sociale à l’enfance, les mineurs en danger, la protection de l’enfance handicapée ou inadaptée, l’accompagnement des personnes âgées, la prise en charge des personnes sans domicile, le traitement des addictions, l’accompagnement des majeurs à protéger, les personnes handicapées, les adultes atteints de maladie chronique, les personnes en situation d’exclusion.

La situation actuelle :

« Le secteur des services à la personne est une qualification juridique française ouvrant droit à un crédit d’impôt et des exonérations de cotisations sociales ». Cette dénomination a été créée par la loi n° 2005-841 du 26 Juillet 2005, il y a exactement vingt ans.

Selon la DREES (Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques), en 2018 il y avait 1,3 million de travailleurs sociaux, soit 520 000 intervenants à domicile, 400 000 assistants maternels, gardes à domicile ou assistants familiaux, 250 000 professionnels socio-éducatifs, 60 000 aides médico-psychologiques et 90 000 autres professionnels de l’action sociale. Cet effectif total avait fortement augmenté (28%) à partir de 2004 jusqu’à 2013 puis s’était stabilisé jusqu’en 2018.

Sur le terrain aujourd’hui :

Conditions de travail difficiles

Au cours de l’histoire, l’augmentation de la productivité de l’ensemble de l’économie a permis de « libérer » une importante quantité de main d’œuvre qui s’est de plus en plus investie dans les services et, particulièrement depuis deux décennies, nous l’avons vu, dans les différents métiers de l’aide à la personne qui, auparavant était assurée bénévolement par les familles elles-mêmes.
D’un point de vue civilisationnel, on peut considérer qu’il s’agit en théorie d’un immense progrès mais on est bien obligé de constater qu’il s’en faut de beaucoup pour que cela se traduise dans la réalité vécue, autant par les bénéficiaires que par les travailleurs, par une réelle qualité de vie.

Les Métiers du Lien sont très fortement féminisés (à environ 90%). Certains secteurs sont en outre fortement précarisés et/ou victimes d’un travail à temps partiel subi. Ils sont aussi caractérisés par une grande pénibilité : en 2016, l’assurance-maladie recensait dans le secteur de l’aide et des services à la personne 94,6 accidents du travail pour 1 000 salariés, soit près du triple de la moyenne nationale.

Le taux d’absentéisme était de 30 % plus important que dans l’ensemble du secteur de la santé. Le niveau de recrutement et de formation des professionnels ainsi que leur rémunération sont, pour certains métiers, particulièrement bas, ce qui génère de grandes frustrations pour la plupart des agents et des bénéficiaires.

Tout se passe comme si les lois et décrets, les institutions et activités mises en place, les effectifs créés étaient plus de l’ordre de l’affichage face à des besoins gigantesques, des « rustines » destinées à colmater au moindre coût les failles d’un système qui produit autant de dégâts humains que de biens (au surcroît pas toujours indispensables ou même seulement utiles).

Impact des restrictions budgétaires

Un seul exemple parmi beaucoup d’autres des conséquences des restrictions budgétaires imposées aux services publics sociaux et médico-sociaux : la suppression de nombreuses places (et donc d’établissements d’accueil) pour les enfants en grandes difficultés médico-sociales a été élégamment et noblement habillée par un objectif hautement estimable d’ « inclusion sociale » dans l’Éducation Nationale.

⇒ Premier résultat : des milliers d’enfants ont été scolarisés dans l’Éducation Nationale soutenus par des AESH (Accompagnants des Élèves en Situation de Handicap) en effectifs insuffisants et avec des heures allouées à chaque enfant insuffisantes elles aussi. Cela a placé les trois parties en cause dans de grandes difficultés : les enfants eux-mêmes, leurs accompagnants et les enseignants.

⇒ Second résultat : Un éducateur me disait récemment que certains enfants ne sont plus scolarisés qu’au moment de la récréation ! …mais sont toujours déclarés comme « inclus » : ainsi la façade est sauvegardée.

Les perspectives :

Croissance de ce secteur

En 2023, la dépense nette d’action sociale des seuls départements s’élevait à 43,6 milliards d’euros. France Stratégie indique cependant que le métier d’aide à domicile est celui qui a la plus forte croissance depuis 10 ans, en raison notamment du vieillissement de la population, de la hausse du taux d’activité des femmes et de celle de la fragmentation des familles.

Selon le Haut commissariat à la stratégie et au plan, 410 000 postes de médecins, infirmiers, professions paramédicales, aides à domicile et aides-soignants seront créés d’ici 2030. 25 000 associations, entreprises et établissements publics sont actuellement agréés contre 5 500 en 2006.

Il y aura toujours des accidents « naturels » de la vie (santé, vieillesse, troubles psychiques, etc.) qui ne pourront pas être évités par quelque politique sociale que ce soit. Cependant, dans un monde où la marchandisation progresse dans (presque) tous les domaines et où les budgets publics sont réduits à la portion congrue, les activités de services aux personnes, peu ou pas solvables, sont condamnées à manquer toujours plus de moyens.

Mais pourquoi produisons-nous de la richesse, si ce n’est pour améliorer la qualité de nos vies, autant pendant l’acte de production lui-même, que dans le vécu hors travail ?

Le secteur des Métiers du Lien ne doit plus être considéré comme une contrainte à réduire le plus possible mais comme un moyen de poursuivre le progrès de l’humanisation de nos sociétés. Comme comme l’a dit l’ancien Président des Etats-Unis Jimmy Carter « La mesure d’une société se trouve dans la manière dont elle traite ses citoyens les plus faibles et les plus démunis. »

Revaloriser les Métiers du Lien

Pour que ce secteur des Métiers du Lien représente un réel progrès pour la population, un meilleur partage de la richesse doit lui affecter des moyens plus conséquents permettant des salaires attractifs, une formation de qualité, des effectifs solides aboutissant à une reconnaissance et une considération entières, si ce n’est prestigieuses, au même titre que les médecins des SAMU, les pompiers, les sauveteurs en mer ou en montagne… ou les génies de la tech.

Dans le secteur privé, lucratif comme non lucratif, la Sécurité économique et sociale (SES) opère une mise hors marché d’une partie de la production pour être repartagée entre les entreprises en fonction de l’emploi de chacune. Elle permettra d’assurer à chaque travailleur·se un socle de revenu garanti. Un bon niveau de mutualisation permettra donc de revaloriser les salaires les plus bas et d’encourager nombre d’emplois utiles et pourtant souvent mal valorisés, dont ceux des Métiers du Lien.

En permettant de développer l’emploi sans recourir au budget de l’État, la SES réduira de façon significative le chômage de longue durée ainsi que la charge du remboursement à la Sécu des exonérations de cotisations sociales. Cela ouvrira à l’État de nouvelles marges de manœuvre budgétaires et cela améliorera ses ressources fiscales, directes et indirectes (ainsi que celles de la Sécurité Sociale), lui permettant mécaniquement d’augmenter celles de ces services (fonctions publiques) et des organismes subventionnés.

Photo de Jsme MILA : https://www.pexels.com/fr-fr/photo/femmes-etre-assis-piece-parler-18429374/

À propos de l'auteur / autrice

Éducateur Spécialisé retraité. Il a été militant syndical tout au long de sa carrière professionnelle, CFDT puis SUD, créant le Syndicat SUD-Santé Sociaux de son département. Écologiste un peu tardif, un temps adhérent (et candidat) à différents partis de gauche. Désormais non affilié politiquement, il est toujours motivé pour une société socialement plus juste, par le projet autogestionnaire et l'approfondissement de la démocratie.

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