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par | 7 avril 2025

Pourquoi la Sécurité économique et sociale initierait un changement de société

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Depuis bientôt un demi-siècle la grande obsession des politiques aura été de créer des emplois. Ils n’ont su dans un premier temps que limiter les dégâts du chômage de masse en développant par la fiscalité un État Providence de plus en plus imposant. Puis ils ont restreint ses ressources notamment en supprimant les cotisations sociales patronales des emplois peu qualifiés et peu rémunérés, pour un résultat très largement inférieur aux attentes !

Une tout autre stratégie est possible : le prélèvement à la source, au niveau des entreprises d’une partie de la richesse qu’elles produisent et sa redistribution automatique et égalitaire pour tous les emplois existants et à créer dans le pays. Tout comme l’instauration de l’État Providence, ce mode de dé-marchandisation et de répartition d’une partie de la richesse inaugurerait un nouveau et profond changement de la société.

De la Charité à l’État Providence

Depuis maintenant plus d’un siècle, lorsqu’il s’agit de réduire les inégalités, on corrige par la fiscalité les inégalités générées naturellement par le marché.

Cette démarche s’inscrit dans la tradition républicaine depuis que, en vertu du Principe d’Égalité, la Révolution Française a remplacé la Charité pratiquée par les nobles et l’Église par l’intervention de l’État. Et cela plus encore depuis l’invention de l’Impôt sur le Revenu après la Première Guerre mondiale. L’ensemble des dispositifs créés dans cette opération de redistribution a progressivement constitué ce que l’on appelle maintenant « l’État Providence ».

Mais cette approche est toujours difficile et délicate car elle consiste en ce que la main de l’État reprenne une forte partie de ce que la « main invisible du Marché » a donné « naturellement » aux acteurs économiques qui pensent ainsi l’avoir légitimement gagné. Beaucoup d’entre eux ressentent cela comme une sorte de spoliation et éprouvent du ressentiment contre les « assistés » qu’ils estiment alors entretenir contre leur gré.

Ce mécontentement des classes les plus « naturellement » favorisées par le Marché est régulièrement entretenu, voire attisé par les courants politiques de Droite. Quant à la Gauche elle se cantonne dans une attitude et une stratégie défensives de l’État Providence qui s’est institué et développé depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale mais qui avait été initié dès les années 1880 par le Chancelier Bismarck en Allemagne.

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Mais surtout, la limite principale de la Redistribution Fiscale est qu’elle ne se préoccupe nullement de créations d’emplois et de réduction du chômage. Elle ne fait que contenir les inégalités en diminuant, voire en supprimant l’impôt pour les plus pauvres, en facilitant l’accès à des logements bon marché et à divers Services Publics, etc. ce qui constitue au total un remplacement de revenus non négligeable. Le résultat est plutôt positif puisque si notre pays est un de ceux qui prélèvent le plus au monde (avec le Danemark), il est aussi un de ceux qui redistribuent le plus. Mais cela ne crée pas d’emplois supplémentaires ni ne favorise l’entrée dans l’emploi.

De ce fait, depuis maintenant une trentaine d’années en France, l’État a instauré de nouveaux dispositifs consistant globalement à subventionner l’emploi dans les secteurs les moins rentables, les moins concurrentiels, les moins compétitifs, surtout dans le contexte de la mondialisation de l’économie, de façon à aider les entreprises de ces secteurs à créer ou à maintenir des emplois.

De l’État Providence à l’État béquille…

Dans le cadre de l’économie de marché, des inégalités se forment dans les échanges commerciaux entre entreprises et avec les consommateurs :

  • Certaines entreprises arrivent à vendre cher, d’autres sont en situation de concurrence qui les obligent à contenir leurs prix.
  • Certaines sont en position d’étrangler leurs fournisseurs, d’autres n’ont aucune latitude de négociation.

Certaines entreprises sont en capacité de payer correctement leurs travailleurs et de dégager des profits substantiels. D’autres ont les plus grandes difficultés à garantir des salaires à peine supérieurs au Smic. Il faut, en effet, bien avoir à l’esprit que pour créer un emploi, une entreprise doit être capable de générer chaque mois, et à plus ou moins long terme, une valeur d’environ 2500€

L’État prend donc à sa charge une grande partie des cotisations sociales concernant les bas salaires. Il puise dans ses recettes de TVA pour rembourser ces cotisations à la Sécurité Sociale. Cela aide effectivement les entreprises à créer ou à maintenir des emplois mais cela crée des « trappes à bas salaires » puisque seuls ceux-ci sont concernés par ce dispositif. Au total, l’État finance donc environ 700€ par mois pour chaque salaire proche du SMIC.

L’État béquille de qui et de quoi ?…

On peut se demander si l’État soutient ainsi les salariés les plus pauvres par souci de « justice sociale » d’Égalité ou de Fraternité ou s’il se préoccupe de maintenir un certain équilibre dans la structure économique du pays ou encore s’il soutient le taux de rentabilité des investissements dans certains secteurs.

Petit retour en arrière sur la constitution des États Providence :

Les humains n’ont pas attendu la création des institutions des États Providence pour organiser des systèmes d’assistance.

La République romaine, l’aumône en Islam, la Charité chrétienne, les secours communaux, (assortis pour certains, par exemple en Angleterre à partir du 17ème siècle d’une obligation parfois cruelle de travailler dans des conditions très dures) ont instauré de telles institutions bien avant l’invention de systèmes d’assurance mutuelles obligatoires.

Des Sociétés de Secours Mutuels ont existé dès la Grèce Antique. Elles ont culminé au 19ème siècle en France, constituant ce qui est devenu le Mouvement Mutualiste. Elles étaient néanmoins surveillées de près (et ont même pour certaines été interdites) par l’État qui ne voulait pas les voir se transformer en organes de contestation, de soutien aux grèves, etc.

Lorsque l’État, en France, les a enfin officiellement reconnues et autorisées, c’est après s’en être assuré le contrôle, sous le Second Empire. C’est même pour empêcher le développement et l’ascension de la Social-Démocratie que Bismarck a créé le premier « État Social » moderne : « Messieurs les démocrates joueront vainement de la flûte lorsque le peuple s’apercevra que les princes se préoccupent de son bien-être. »

Selon l’historien de la Sécurité Sociale, Nicolas Da Silva (La bataille de la Sécu, éditions « La Fabrique » 2022), les plus fortes impulsions en faveur de la création de l’État Social sont venues des deux guerres mondiales en raison de la nécessité d’assurer un minimum vital et sanitaire aux populations et aux soldats. Mais, en dehors de ces périodes, la défiance des élites à l’égard des classes populaires soupçonnées de vouloir « profiter » s’est avérée constante.

A partir de la fin de la Seconde Guerre Mondiale, qu’ils soient financés par l’Impôt ou par la Cotisation obligatoire (ou un mélange des deux comme en France), les États Providence n’ont bien fonctionné que grâce à la croissance économique et à la démographie des « Trente Glorieuses ».

En France, la grande autonomie de la Sécu des origines, gérée par les syndicats ouvriers, a progressivement été remise en cause à partir de 1967 par l’État qui en a finalement repris intégralement le contrôle.

Les principales critiques qui lui sont opposées sont que l’État Social, par ses prélèvements, perturbe le libre Marché et l’économie et par sa redistribution, décourage l’effort et la responsabilisation individuelle. De plus, la mondialisation de l’économie, par la concurrence des coûts salariaux qu’elle provoque, compromet sérieusement ses possibilités de financement.

Par ailleurs, comme évoqué précédemment, la constitution d’États Providence ne s’est pas réalisée que pour de bonnes raisons : refus de la gestion autonome de l’assistance mutuelle par les classes populaires, « apprivoisement » des populations par des régimes autoritaires (fascisme italien, national- « socialisme » en Allemagne) en contrepartie de la perte de certains droits démocratiques, nécessités de la guerre…

Pour un renouveau de l’État Social

Malgré les difficultés et les critiques (dont certaines justifiées) qu’il rencontre, l’attachement à l’existence d’un État Social reste fort dans une grande partie de l’humanité. La République Sociale (« La Sociale ») se distingue de la République Bourgeoise par le fait qu’elle attache une grande importance au bien-être concret des citoyens et non pas seulement à l’existence de Droits démocratiques formels (Droit de vote, Indépendance de la Presse, Libertés individuelles, etc.)

Si les décisions des peuples, via le suffrage, ne sont pas toujours heureuses (ils portent parfois au pouvoir des populistes et des dictateurs auxquels il sacrifient leur liberté en échange de promesses de sécurité et de prospérité), elles restent au fond animées la plupart du temps par des aspirations à l’égalité et à la fraternité comme par exemple « La Sociale » qui reste mobilisatrice au travers du souvenir de la Révolution de 1848, de la Commune et du Programme du CNR « Les jours heureux » à la Libération. On trouve même ce besoin de fraternité là où on l’attendait le moins : le photojournaliste Vincent Jarousseau, qui vient de publier « Dans les âmes et les urnes – Dix ans à la rencontre de la France qui vote RN » (édition Les Arènes), a récemment déclaré au journal FAKIR : « Il y a, dans cette France qui vote RN, un besoin de fraternité très fort ».

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C’est en 1848 que « Liberté, Égalité, Fraternité » devient la devise officielle de la République Française (remplacée par le régime de Vichy par « Travail, Famille, Patrie ») et en 2018 que le Conseil Constitutionnel a considéré que le principe de Fraternité a valeur constitutionnelle. En 1848, les insurgés se sont battus non seulement pour l’égalité politique (le suffrage universel) mais aussi pour le droit au travail (et à la dignité que confère l’autonomie économique). Malheureusement les Ateliers Nationaux se sont avérés une erreur et ont sanctionné cette troisième révolution.

Il me semble cependant aujourd’hui possible, malgré les poussées de populisme, d’autoritarisme et depuis peu de libertarianisme qui font actuellement vaciller nombre de démocraties, de tirer des leçons positives des deux derniers siècles de notre histoire et de ne pas jeter le bébé des avancées de l’État Providence avec l’eau du bain de ses limites et impasses.

Pour cela il faut non pas, comme le préconisent les Libertariens radicaux, détruire les États-Nations pour les remplacer par des milliers de féodalités ayant chacune des lois différentes et dirigées de main de fer par des oligarchies financières mais au contraire transformer radicalement nos États en transférant une partie de leurs prérogatives aux Sociétés Civiles dans le cadre d’institutions qui resteraient à inventer.

Les Conférences Citoyennes ont montré que cela est possible autant en matière sociale, écologique que constitutionnelle. Les Cahiers de Doléances, rédigés à la suite du Mouvement des Gilets Jaunes puis « confisqués », peuvent en indiquer la direction et en impulser la naissance.

La Sécurité Économique et Sociale comme moyen de l’Égalité et de la Fraternité

La mutualisation et la démarchandisation d’une partie de la richesse créée par l’ensemble des entreprises puis sa répartition égalitaire au niveau de chaque poste de travail favoriserait la création d’emplois tout en réduisant la précarité et la pauvreté, y compris celles des personnes en emploi.

Cette approche permettrait de réduire fortement la taille, la complexité digne d’une « usine à gaz » et l’emprise de l’État Social sur la Société tout en réalisant les aspirations de 1848, de la Commune et des Jours Heureux. Sans doute pas de quoi satisfaire les Libertariens les plus radicaux mais de quoi rassurer nombre de citoyens impuissants face à la machinerie étatique et qui estiment que la rémunération d’une personne ne peut se limiter à la valeur marchande de ce que produit son travail. L’utilité sociale et environnementale d’une activité ou d’un emploi doit aussi être prise en compte.

Selon une étude de l’Insee reprenant des chiffres de 2013, 3000 entreprises (sur 3,3 millions, soit moins d’un millième !) produisent à elles seules 52% de la valeur ajoutée nationale. Elles emploient 43% des salariés du secteur marchand, soit 20% de l’emploi total et produisent 25% du PIB.

Une autre étude réalisée au 1er janvier 2025 sur la base des dernières données de l’INSEE nous montre, qu’en moyenne, en France, un travailleur génère chaque mois une richesse de 5000 euros. Cela signifie que les entreprises les plus prospères génèrent une richesse par travailleur largement supérieure à 5000€ alors que d’autres sont très largement en dessous et parmi elles, un certain nombre qui peinent à financer des salaires équivalents au SMIC.

Il y a donc bien moyen de transférer une partie de cette richesse produite disponible des entreprises très rentables vers celles qui le sont beaucoup moins mais dont l’activité est utile à la société, et de garantir ainsi à toutes les entreprises la possibilité de financer régulièrement au minimum le SMIC pour chacun de leurs salariés, donc de créer si besoin des emplois en toute sécurité et mieux, de les rémunérer correctement.

L’éthique, oui mais pas que…

Si la Sécurité Économique et Sociale se présente comme un dispositif visant la démarchandisation d’une partie de la richesse nationale, la création d’emplois pour le maximum de personnes de façon à réduire les inégalités et les exclusions sociales ainsi que la pauvreté et la précarité, ce n’est pas que pour des considérations éthiques de Justice, d’Égalité et de Fraternité (bien sûr présentes) mais c’est aussi et surtout pour des raisons d’efficacité économique et de cohésion sociale.

Besoin de savoir ce que la loi SES va changer pour vous ?

Faites une simulation de ce que coûtera et rapportera la SES à votre entreprise en fonction de ses encaissements et de ses décaissements.

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Une économie abandonnée à un « Libre Marché Autorégulateur » qui n’a jamais su se réguler par soi-même est en réalité une Jungle régie par la loi du plus fort, où la précarité et la misère peuvent s’abattre sur beaucoup à la faveur des difficultés rencontrées par les entreprises, où l’insécurité règne en permanence et où les inégalités s’accroissent (actuellement de façon exponentielle) générant un sentiment d’injustice sociale, frustrations, tensions, colère, ressentiments et violence.

La réduction des inégalités et la régulation de l’économie que permettrait la Sécurité Économique et Sociale sont de nature à favoriser des relations sociales apaisées, ce à quoi aspire la grande majorité des individus.

Tout à la fois Réformiste, Radicale et Révolutionnaire…

La proposition de la Sécurité Économique et Sociale est paradoxalement :

  1. Réformiste puisqu’elle ne remet pas en cause le marché, elle se contente de le limiter
  2. Radicale car elle introduit un partage de la richesse et une redistribution d’une ampleur conséquente
  3. Révolutionnaire car jusqu’ici aucun partage à la source, au niveau des entreprises, n’a jamais été envisagé et pratiqué

Certains pourraient même y voir, en ces temps d’émergence d’un désir de souverainetés nationale et européenne recouvrées, un appel à un « patriotisme des entreprises » qui se manifesterait par une solidarité inter-entreprises au bénéfice d’une société rassemblée…

Photo de Ross Findon sur Unsplash

À propos de l'auteur / autrice

Éducateur Spécialisé retraité. Il a été militant syndical tout au long de sa carrière professionnelle, CFDT puis SUD, créant le Syndicat SUD-Santé Sociaux de son département. Écologiste un peu tardif, un temps adhérent (et candidat) à différents partis de gauche. Désormais non affilié politiquement, il est toujours motivé pour une société socialement plus juste, par le projet autogestionnaire et l'approfondissement de la démocratie.

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