L’idée d’un revenu d’existence est relativement ancienne et peine à trouver une majorité pour l’expérimenter. La Sécurité économique et sociale (SES) partage avec elle un principe de réduction des inégalités obtenu par le versement d’une allocation, inconditionnelle pour le revenu d’existence, liée à l’emploi pour la SES. Si l’inconditionnalité est le marqueur fort du revenu d’existence, il faut reconnaître qu’elle interdit d’envisager à court terme une majorité en sa faveur. Les partisans du revenu d’existence devraient voir dans la SES, au-delà d’un moyen de financement, une expérience pratique qui renforcera la confiance de la société en elle-même préalable à la mise en place d’un tel revenu.
Revenu de base, revenu d’existence, revenu universel, allocation universelle, revenu inconditionnel, dividende universel, dotation inconditionnelle d’autonomie, voilà les multiples dénominations qui comportent parfois dans leur définition des nuances subtiles mais qui restent centrées sur une idée essentielle : tout individu doit recevoir de façon inconditionnelle et sur la seule base de son existence une allocation monétaire mensuelle destinée à lui garantir son autonomie[ref]Yannick Vanderborght & Philippe Van Parijs, L’allocation universelle, Coll. Repères, La Découverte, 2005 , p. 6.[/ref]. Il s’agit là d’une très vieille idée dont l’origine remonte à Thomas Paine dès 1797[ref]Thomas Paine, A la législature et au Directoire, ou La justice agraire opposée à la loi et aux privilèges agraires, BNF Gallica, 1797, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5475203c[/ref]. Il est actuellement essentiellement défendu en France par le Mouvement français pour un revenu de base. Si, en son temps, un candidat à la présidentielle, Benoît Hamon, avait fait du revenu universel son cheval de bataille, force est de constater que l’idée n’est guère plus avancée aujourd’hui.
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Le revenu de base : un présupposé commun avec la SES et une différence essentielle
Cette proposition a un présupposé commun avec l’idée de Sécurité économique et sociale : la déconnexion entre le revenu que l’on touche et la valeur que l’on produit. Par ailleurs, l’outil commun utilisé pour atteindre ce but est une allocation unique et fixe, vecteur d’égalité dans nos sociétés, et outil de lutte contre la pauvreté.
La différence essentielle entre les deux propositions porte sur la conditionnalité de l’allocation : le simple fait d’exister dans le revenu de base, la présence en emploi dans le cas de la Sécurité économique et sociale. Le principe de la SES serait en effet de verser une allocation fixe, mensuelle, pour tout emploi qu’il soit dans des entreprises existantes ou nouvelles, de grande taille ou petite taille, y compris les travailleurs indépendants et micro-entreprises. L’allocation durerait le temps de l’emploi.
Les nombreuses justifications du revenu de base
L’inconditionnalité est au cœur du projet de revenu de base : c’est l’existence même de l’individu qui est le fait générateur du paiement. Les justifications de ce revenu sont nombreuses. On peut notamment citer le fait que nos revenus actuels dépendent en grande partie de l’accumulation de savoirs antérieurs qui n’appartiennent à personne en particulier et que, dès lors, tout le monde aurait droit à une fraction du revenu global sous forme d’allocation. Grâce aux formidables gains de productivité du passé, cette notion d’héritage commun permettrait de revendiquer une émancipation forte de l’individu qui autoriserait toute personne à avoir l’activité qu’elle souhaite, sans avoir de compte à rendre à qui que ce soit, en lui reconnaissant même un droit à la paresse.
Un autre argument porte sur le fait que toute personne est utile à la société qu’elle soit en emploi ou pas. Le fait qu’elle ne soit pas en emploi implique qu’elle a plus de temps libre à consacrer à autrui qu’une personne en poste. À l’appui de cet argument, l’exemple des retraités, grands pourvoyeurs de bénévolat dans les associations, est fréquemment cité.
Enfin, on retrouve l’argument de la simplification administrative qui, partant du constat de la complexité des minima sociaux actuels et de la stigmatisation qu’ils génèrent pour leurs bénéficiaires, verrait bien ces derniers remplacés par un revenu universel destiné à tout le monde.
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Les contre-arguments du revenu de base
Si ces arguments sont loin d’être infondés, il faut reconnaître que cette proposition, vieille de plus de deux siècles, peine à convaincre.
Le premier frein est culturel : de fait, de tous temps, pour améliorer sa condition, l’être humain a toujours eu besoin de produire des efforts et donc de travailler, que ce soit en emploi ou dans sa vie personnelle. Ce qui était vrai hier l’est encore aujourd’hui, même si les progrès techniques ont permis d’immenses gains de productivité, la nécessité de fournir des efforts pour améliorer son sort demeure comme en témoignent aujourd’hui les immenses efforts à accomplir pour relever le défi climatique. De ce point de vue, les partisans du revenus d’existence ont beau tenter de le justifier par l’héritage culturel et technologique de nos prédécesseurs, il n’en reste pas moins vrai qu’il faut travailler pour le mettre en œuvre et il apparaît alors incongru que certains puissent en bénéficier sans participer à la production.
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Le temps libre n’est pas systématiquement associé au bien commun
Par ailleurs, s’il est exact qu’une personne hors emploi peut apporter plus de temps libre à la société, il reste difficile de systématiser que toute personne qui disposera de temps libre affectera celui-ci au bien commun. Les opposants au revenu de base ont alors toute facilité pour dénoncer les futurs « passagers clandestins » en caricaturant la proposition (argument que l’on retrouve aussi contre le RSA ou certaines aides sociales).
C’est exactement ce qu’il s’est passé lors du référendum suisse de 2016 sur un revenu de base où les opposants à celui-ci avaient présenté des affiches représentant le roi des feignants, personnage obèse regardant la télé entouré de canettes de bières et de cartons de pizza ! Argument qui a dû frapper les esprits puisque cette proposition a été rejetée à 76,9 % des électeurs.
Le nœud de la question autour de l’adoption du revenu de base est la confiance que la société a en elle-même et en ses membres. Si le revenu de base libère l’individu de la nécessité de l’emploi, est-ce que, pour autant, les personnes qui refuseront la perspective de l’emploi apporteront quelque chose en retour à la société ? Comme l’exemple suisse l’a montré, cette thèse est loin d’être admise et il est alors assez peu probable qu’une majorité émerge en faveur du revenu de base et si oui, c’est probablement sur un montant assez faible, éloigné du salaire minimum et destiné à remplacer les minima sociaux.
C’est, en France, le projet du 2RU, revenu universel sous forme de crédit d’impôt d’un montant de 500 euros par adulte, de 200 à 250 euros par enfant, le tout financé par l’impôt sur le revenu dont la première tranche de 30 % commence dès le premier euro gagné. Si cela peut être considéré comme un moyen efficace de réformer les minima sociaux et la stigmatisation qu’ils comportent, il s’agit d’une version minimale du revenu d’existence dont le montant permet à peine à l’individu de vivre.
“Le nœud de la question autour de l’adoption du revenu de base est la confiance que la société a en elle-même et en ses membres”
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La question épineuse du financement du revenu de base
La question du financement est régulièrement évoquée dès que l’on parle du revenu de base et elle n’a pas, à ce jour, de solution unique. Il n’y a guère que la proposition du 2RU d’un montant extrêmement faible qui intègre d’office une solution de financement. Le MFRB présente de nombreuses solutions à titre d’information sans véritablement trancher sur le sujet préférant promouvoir l’idée d’un revenu de base plutôt que de déboucher sur un projet de loi. Les solutions qu’il présente sont de deux ordres :
- les versions basées sur la mutualisation, d’une part ;
- et celles faisant appel à des collectes ne touchant pas aux revenus des personnes, telles que la TVA, la taxe sur les transactions financières, la taxe écologique, la taxe sur le patrimoine, la taxe sur les robots, la création monétaire. Cette deuxième catégorie de solutions paraît irréaliste tant les montants à mobiliser sur un revenu de base significatif sont importants. Aucun des impôts mentionnés, y compris la TVA, ne serait capable de le financer et il ne fait aucun doute qu’un financement par création monétaire serait fortement inflationniste.
En ce qui concerne la première méthode, Baptiste Mylondo préconisait, dans un livre de 2010, un revenu universel de 750 euros qui serait financé par une CSG additionnelle de 35 %[ref]Baptiste Mylondo, Un Revenu pour tous ! Précis d’utopie réaliste, Les Éditions Utopia, 2010, p. 42.[/ref]. Sachant que le seuil de pauvreté est aujourd’hui plutôt de l’ordre de 1100 euros, ceci signifierait, en tenant compte de l’évolution de la production, un taux additionnel de CSG de l’ordre de 44 %. Ajouté aux niveaux de prélèvements déjà existants de CSG-CRDS, cela ferait donc un plancher de prélèvement de 53,70 %, auquel se rajoute en plus l’impôt sur le revenu. Il est probable que de tels taux de prélèvements susciteraient le rejet en plus de l’hostilité relative au syndrome du « passager clandestin ».
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Le droit à l’emploi reste un droit constitutionnel
On l’a vu, il ne manque pas d’arguments en faveur du revenu d’existence. Toutefois, il est à remarquer qu’aucune des pistes explorées pour ce revenu d’existence ne soulève la question du droit à l’emploi qui est pourtant un droit inscrit dans la constitution. En clair, le revenu de base sans droit à l’emploi pourrait vite s’apparenter à un solde de tout compte pour les personnes que l’économie privée n’aurait pas choisies.
Ce sont ces réserves que l’économiste Thomas Piketty met régulièrement en avant lorsqu’il défend la possibilité d’un revenu universel. Ce droit à l’emploi, la Sécurité économique et sociale pourrait y répondre, avec ou sans mise en place d’un revenu de base.
La Sécurité économique et sociale comme point de passage possible vers le revenu de base
Comme nous l’avons mentionné, la notion d’allocation fixe, mensuelle, par personne est commune aux deux projets, la différence entre les deux portant sur la conditionnalité de l’allocation : seul un travailleur pourrait la toucher. Une autre différence notable porte sur le fait que la Sécurité Economique et Sociale (SES) intègre de base son propre système de financement, basé sur une contribution uniforme des entreprises d’un pourcentage donné des flux de trésorerie d’activité (FTA).
La nécessité de déconnecter la rémunération de la richesse produite par l’individu
À ce jour, le principal obstacle à l’adoption d’un revenu de base est le manque de confiance de la société en elle-même dû à l’héritage de la culture valeur-travail et l’impossibilité de savoir dans quelle mesure ce revenu de base sera un facteur encourageant pour contribuer à la société ou au contraire pour « profiter du système ». Comme le revenu de base, la Sécurité Eonomique et Sociale s’appuie sur un principe : la nécessité de partiellement déconnecter la rémunération de la richesse produite par l’individu. La mise en place de la Sécurité économique et sociale permettra d’expérimenter cette déconnexion et il est probable que la société constatera que la majeure partie des emplois qui auront été créés grâce à ce système sont réels et répondent à des besoins écologiques et sociaux. Ce sera peut-être une première étape pour renforcer la confiance de la société en elle-même et faciliter la formation d’une majorité en faveur d’un revenu de base.
L’instauration de celui-ci pourrait alors prendre la forme d’une évolution de la Sécurité économique et sociale dans laquelle tout ou partie de l’allocation serait directement versée aux individus plutôt qu’aux entreprises. Dans un tel cas, la Sécurité économique et sociale fournirait un système de financement idéal pour un revenu de base.
“La Sécurité économique et sociale n’est nullement opposée, pas plus qu’elle n’est favorable, au revenu de base. Selon les niveaux de montants, les deux dispositifs pourraient même se compléter”
La Sécurité économique et sociale n’est nullement opposée, pas plus qu’elle n’est favorable, au revenu de base. Selon les niveaux de montants, les deux dispositifs pourraient même se compléter. Dans l’hypothèse où la Sécurité économique et sociale venait à être mise en œuvre, elle permettrait à la société d’expérimenter les effets bénéfiques d’une déconnexion d’une partie du revenu de la richesse que chaque personne produit, ce qui serait un élément favorable pour une adoption du revenu de base. De ce point de vue, tout partisan sérieux du revenu de base devrait soutenir la mise en place de la Sécurité économique et sociale qui peut constituer un point de passage possible vers celui-ci.
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Photo de Alexander Grey sur Unsplash