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par | 6 septembre 2023

Emplois, économie, entreprises : soutien de l’État ou mutualisation ?

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Cela fait trois décennies que les gouvernements successifs ont accumulé des dispositifs de relance de l’économie basés sur des exonérations de cotisations sociales, des aides directes aux entreprises ainsi que des baisses d’impôts. Ces dispositifs, cumulés les uns aux autres, représentent désormais un manque à gagner pour l’État de l’ordre de 200 milliards d’euros par an pour des résultats relativement faibles. Une autre politique aurait été possible, centrée sur le fait que l’emploi représente toujours un risque pour l’entreprise.

Depuis le début des années 1990, les gouvernements successifs mettent régulièrement en œuvre des plans de relance de l’économie, soutien de l’emploi et autres dispositifs d’aides au entreprises. Ces mesures prennent différentes formes, mais partagent globalement la même logique : allouer des fonds publics aux entreprises privées, pour soutenir leur compétitivité, et par ricochet la croissance et l’emploi. Quels en sont les résultats et n’y aurait-il pas d’autres voies à explorer ?

Avec un système de sécurité économique et sociale, ces acteurs publics pourraient retrouver 200 milliards d’euros par an pour agir.”

Les 3 grands types de politiques publiques d’aide à l’emploi et à l’économie

Les politiques publiques à l’œuvre depuis trois décennies en matière d’économie se distinguent en trois grandes catégories, ayant fait l’objet d’analyses et de bilans détaillés[ref]Cf. les fiches d’analyse éclairantes de l’institut Rexecode et de l’association Fipeco qui ont nourri cet article.[/ref] :

  1. Les dispositifs d’allègement du coût du travail 

Ils se résument depuis 1993 à des mécanismes d’exonération de cotisations sociales. Cela consiste à soulager les entreprises d’une partie des charges sociales patronales (part du salaire  affectée aux différentes branches de la sécurité sociale telles que les dépenses de santé ou les pensions de retraites) qui se trouve compensée par l’État, c’est-à-dire les contribuables. Depuis 2018[ref]Article 3 de la Loi de financement de la sécurité sociale pour 2020.[/ref], les nouvelles exonérations décidées par le gouvernement ne sont plus compensées du tout auprès du budget de la sécurité sociale ;

  1. Les dépenses fiscales, qui prennent la forme d’abandon de recettes fiscales pour l’État. 

Se rangent dans cette catégorie la myriades de dispositifs de fiscalité réduite (TVA à 5,5 % sur la restauration, exonération de taxes sur le kérosène, zones franches urbaines) et autres crédits d’impôts consentis aux entreprises, parfois pérennisés sous forme d’exonérations de cotisations sociales. L’exemple à la fois le plus récent et le plus célèbre est le CICE[ref]Crédit d’Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi (CICE) transformé en exonération de cotisations sociales à partir de 2019 (20 Mds € par an). Pour en savoir plus voir fiche Fipeco dédiée.[/ref] ; 

  1. Les dépenses budgétaires

On peut les considérer comme toutes les aides financières directes ou subventions accordées aux entreprises et autres acteurs de l’emploi. Le plan de relance du gouvernement actuel identifie 34 Mds € au titre du soutien à la compétitivité, via un soutien à l’export ou encore aux investissements dans l’industrie.

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Le budget de l’État en soutien à la compétitivité et à l’emploi

Ces aides publiques aux entreprises  consistent toutes à ponctionner une partie du budget de l’État ou de celui de la Sécurité sociale pour venir alléger les charges (salariale et fiscale) des entreprises privées, dans un objectif à double détente :

  • améliorer la compétitivité des entreprises, en réduisant le coût de la main-d’œuvre et en augmentant leur capacité d’investissement ;
  • et par voie de conséquence, espérer ainsi relancer l’embauche (consécutive à la hausse de la demande de production), ou a minima éviter des licenciements (certaines entreprises délocaliseront moins, ou moins vite, leur production si les coûts salariaux baissent).

“Pour résumer, l’État fait un pari : mobiliser des fonds publics pour soutenir les finances des entreprises en vue de maintenir la croissance (du PIB), par une combinaison de dopage de trésorerie et de dumping social. Avec l’espoir que tout ira mieux.”

Des dépenses maximales pour de faibles résultats

L’ensemble des aides financières et des mesures de relance de l’économie et de soutien de l’emploi s’élève à 200 Mds € par an, principalement concentrés sur les allègements salariaux. Cette injection massive d’argent public vers le secteur privé de l’économie participe évidemment à son dynamisme, à la « croissance » de la production (quantitativement), mais reste très décevante sur le plan du nombre et de la qualité des emplois créés, ainsi que sur l’orientation de la production.

Un impact faible sur l’emploi

En matière d’emploi, le constat est sans appel : exceptés les allègements de cotisations ciblés sur les bas salaires[ref]Cf. note du Conseil d’analyse économique janvier 2019.[/ref], le rapport entre emplois créés – ou a minima maintenus – et moyens financiers mobilisés est très insuffisant. Pour ne prendre que l’exemple du CICE, qui dès ses débuts faisait l’objet de rapports critiques[ref]Rapport parlementaire, 2016 « CICE, le RDV manqué de la compétitivité ? ».[/ref], France Stratégie[ref]Cf. Rapport France Stratégie, institution au service du Premier Ministre, sur le CICE.[/ref] évalue entre 100 000 et 160 000 les emplois créés pour un coût de 18 Mds € sur l’année 2016, soit 100K€ par emploi créé…

“S’ajoutent à cela certains effets pervers (trappes à bas salaires) et une inégale captation de ces ressources entre les entreprises : l’absence de ciblage de ces dispositifs autorise des entreprises en bonne santé à en profiter tout autant que celles plus fragiles. “

Les exemples de Sanofi, Total ou Air France restent dans les esprits par leur décision de maintenir le versement de dividendes élevés – notamment durant la crise sanitaire – et parfois de licencier, tout en ayant bénéficié d’aides publiques.


Source : Oxfam

Ces constats résultent de la méthode utilisée dans l’allocation de ces aides publiques aux entreprises et l’absence totale de contrepartie, notamment en termes de créations d’emplois.

En terme macroéconomique, cela explique les phénomènes que l’on constate depuis 2017, date d’accélération et de massification de mesures d’allègement du « coût du travail »[ref]Cf. Rapport de la Commission des comptes de la Sécurité sociale de septembre 2022.[/ref] :

  • endettement de l’État et de la Sécurité sociale, et en même temps hausse record des dividendes versés aux actionnaires ;
  • hausse de la précarité et de la pauvreté, et en même temps record du nombre de millionnaires en France.

Coût total des dispositifs d’exonérations de cotisations en faveur de l’emploi (sources : Les comptes de la Sécurité sociale)

Penser une alternative aux aides aux entreprises de l’État

Le biais fondamental de ces mesures est l’incompréhension – ou la sous-estimation – de l’exposition au risque que constitue, pour une entreprise, la décision d’embaucher. En effet, lorsqu’une entreprise embauche, elle prend un risque : celui que le salarié en poste rapporte moins que son coût et ceci reste vrai pour toute entreprise qu’elle soit à but lucratif ou pas. Ce risque est multiforme et peut autant venir d’une erreur de l’entreprise dans sa stratégie, d’une conjoncture qui n’est pas conforme aux attentes ou tout simplement une erreur de recrutement.

Lorsque l’État actionne le levier de la baisse des charges salariales, ceci diminue certes le risque lié à l’embauche du montant de l’allègement, mais seulement à la marge, ce qui explique les effets marginaux obtenus au regard du coût faramineux pour les finances publiques de ces mesures qui se sont empilées les unes aux autres au fil des années.

Changer de méthode, de logique et de philosophie

Faire mieux, c’est d’abord changer de méthode, et passer d’un régime de perfusion inconditionnelle d’aides publiques aux entreprises vers un régime de soutien ciblé sur des critères d’emploi et d’investissement.

C’est aussi changer de logique, et regarder l’économie comme un écosystème d’entreprises (de l’artisan à la multinationale), toutes à la fois fournisseuses et clientes les unes des autres, c’est-à-dire interdépendantes.

C’est donc changer de philosophie, et évoluer d’une charité publique mal dirigée vers un système de sécurité sociale. Plus précisément une Sécurité économique et sociale pour les entreprises, les assurant entre elles contre les aléas auxquels elles sont exposées, notamment les plus fragiles (TPE, PME).

L’intérêt de la Sécurité Économique et Sociale

Ceci est possible par la perception pour toute entreprise d’une allocation fixe mensuelle par emploi en équivalent temps plein. Mais à la différence des mesures de baisse de charges qui creusent les budgets publics, ces allocations-emploi seraient financées par les entreprises elles-mêmes. En clair, cela introduit une mutualisation du risque dans laquelle l’entreprise échange désormais une partie de ce qu’elle va produire et que l’on ne connaît pas d’avance contre une allocation fixe et garantie pour chaque emploi qui formera un socle de revenu pour le travailleur.

Tel est le projet de Sécurité Économique et Sociale porté par l’Association pour une loi de Sécurité économique et sociale (ALSES) qui vise à établir un nouveau contrat social entre les entreprises et les travailleurs, sur la base d’un principe clair : mutualiser entre les entreprises une partie de la richesse qu’elles créent, pour la redistribuer entre elles en fonction de leur nombre d’employés sous la forme d’une allocation-emploi. Un tel système de solidarité universel inter-entreprises favorise l’investissement (déduit de l’assiette de cotisation) et sécurise une fraction des salaires (allocation-emploi). Il favorise ainsi l’embauche et l’entrepreneuriat.

Quant à l’orientation des investissements vers les secteurs qui en ont le plus besoin, à l’aune des enjeux sociaux et environnementaux actuels ? C’est d’abord aux acteurs publics, État, Sécurité sociale et collectivités, de le déterminer et de l’impulser.

“Cerise sur le gâteau : avec un système de sécurité économique et sociale, ces acteurs publics pourraient retrouver 200 milliards d’euros par an pour agir.”

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Photo de Tyler Jamieson Moulton sur Unsplash

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