L’augmentation récente de la fortune des milliardaires et leur omniprésence dans l’économie mérite qu’on questionne leur utilité sociale. Régulièrement, des propositions de taxation des plus gros patrimoines visant à réduire les inégalités font leur apparition dans le débat public. Sans utiliser le biais fiscal, la Sécurité Économique et Sociale apporte une réponse nouvelle et originale qui agira directement sur l’emploi et les revenus du travail.
La réponse apportée à cette question par Zohran Mamdani, le nouveau maire démocrate de New-York a suscité quelque émoi : « Je ne pense pas que nous devrions avoir des milliardaires parce que, franchement, c’est tellement d’argent dans un moment où il y a une telle inégalité, et, à la fin, ce dont nous avons besoin, c’est de l’égalité dans notre ville, notre État et notre pays. »
Avant lui, une autre démocrate radicale, Alexandria Ocasio-Cortez avait déclaré que « l’émergence d’un milliardaire est le fruit d’une économie qui ne fonctionne pas, c’est-à-dire qui sous-investit dans l’outil productif et capte les ressources au profit d’une accumulation sans objet ».
De l’utilité économique des milliardaires…
Le poids des 500 plus grandes fortunes professionnelles françaises a pratiquement décuplé en 20 ans. Elles représentaient 124 milliards d’euros en 2003 et atteignent un montant total de 1 170 milliards d’euros en 2023 (Source : Observatoire des inégalités). En France, de mars 2020 à octobre 2021, la fortune des milliardaires français a augmenté de 86%.
Certains pensent que ces écarts ont un effet d’entrainement, de motivation, de stimulation, sur l’ensemble des acteurs économiques, qui bénéficie à l’ensemble de la société. Ils emploient souvent à ce propos la métaphore du gâteau qui doit grossir pour que la part de chacun soit plus grande, quelle que soit sa taille initiale.
De plus, les très gros possesseurs de capitaux investiraient le capital de manière plus efficace et utile que ne le ferait l’État (ça se discute…) contrairement à ce qui s’est produit dans l’économie planifiée de type soviétique (c’est certain !).
Certains économistes, allant dans le même sens, affirment que les ultra-riches concentrent une capacité d’investissement capable de financer de grands projets que les autres ne pourraient envisager. Certes, quelques capitaines d’industrie réalisent de grands projets (utiles ou pas est une autre question…), comme par exemple Elon Musk ou Jeff Bezos dans le domaine spatial ou d’autres dans la « Tech » ou la santé.
Il faut cependant prendre en compte que si le mérite leur revient d’avoir eu les bonnes idées de départ et d’avoir su réunir autour d’eux des collaborateurs efficaces, le succès de leurs entreprises est à mettre aussi à l’actif de l’ensemble des travailleurs, techniciens et cadres qui en ont créé quotidiennement la richesse.
De plus en plus de milliardaires… mais de plus en plus de pauvres…
Théodore Laurent, journaliste au Magazine Forbes, pense que le nombre croissant des milliardaires et de leurs fortunes n’a pas profité à la population américaine. Le tableau qui suit rassemble quelques données indiquées dans l’article cité :

Alors que le nombre et la fortune des milliardaires ont fortement augmenté depuis les années 1990, le pouvoir d’achat des salariés n’a que très faiblement progressé. On pourrait penser que l’omniprésence des milliardaires investissant dans l’économie aurait fait progresser la productivité et donc le pouvoir d’achat de l’ensemble de la population. Rien de tel. La hausse de la productivité a décru depuis les années 1950-1970.
Si la hausse de la productivité est de 1,5 % par an dans les années 2000, les salariés n’en profitent qu’à hauteur de 0,3 % ! C’est ainsi que l’économiste Jean-Marie Harribey en vient à soutenir que si ruissellement de richesse il y a, celui-ci se réalise du bas vers le haut.
Comment pourrait-on expliquer cette évolution ? N’ayant que leur force de travail à louer sur un marché où ils sont en surnombre, les moins riches sont brutalement victimes de la loi du marché qui permet aux employeurs de faire jouer entre eux une concurrence à la baisse sur leurs salaires. Ceci se réalise, non seulement, au niveau national mais aussi, pour certaines activités, au niveau international.
Au niveau international, OXFAM indique que le nombre de milliardaires a été multiplié par 5 en 20 ans (538 en 2001 ; 2775 en 2021), mais que, désormais, le rythme de la réduction de la pauvreté ralentit, ce qui est inédit, et que près de la moitié de la population mondiale vit avec moins de 5,5 dollars par jour.
Par ailleurs, selon les calculs de cette même ONG, 36% des richesses des milliardaires provient à l’origine des héritages. Pour la première fois, en 2024, les personnes qui sont devenues milliardaires sont plus nombreuses à devoir ce statut à des héritages qu’à leur entreprenariat. De quoi écorner quelque peu le mythe de la méritocratie concernant bon nombre de milliardaires et autres ultra-riches.
Donc, globalement, au bout du compte, l’apport des milliardaires est loin d’être aussi positif que certains l’affirment.
De l’inutilité sociale des milliardaires :
L’incidence sur la démocratie
Un autre important problème est que l’immense fortune des ultra-riches leur permet d’être décideurs en matière de politique économique, quand ce n’est pas de politique tout court. Certains sont plus puissants que beaucoup d’États et orientent l’économie de pays entiers.
En France, le milliardaire Vincent Bolloré et quelques autres possèdent la quasi totalité de la presse et des médias et sont ainsi capables de façonner l’opinion.
La démocratie, qui veut que ce soient les peuples, par l’intermédiaire de leurs représentants, qui décident des objectifs et des finalités de la société, est dès lors confisquée.
L’incidence sur l’environnement
Dépensant et consommant de manière ostentatoire, les ultra-riches nuisent au climat : 308 milliardaires de la planète émettent plus que 118 pays réunis.
L’incidence sur la santé
Pour les chercheurs Richard Wilkinson et Kate Pickett, plus une société est inégalitaire, plus elle est malade …et moins elle est créative.
Comment réduire les inégalités ?
Taxation-redistribution
Face à cela, une réaction républicaine et humaniste traditionnelle consiste à envisager sous des formes et des taux divers, une taxation des revenus et des fortunes accumulées par les plus riches, reprenant par l’impôt une partie de ce que le marché leur distribue « naturellement ».
Il s’agit d’en confier le fruit à l’État, qui est, en principe, arbitre entre les intérêts immédiats du capital, du travail et de la société globale. Il redistribue celui-ci en allocations et en services publics. Dans les faits, selon les majorités parlementaires, l’État organise une redistribution plus ou moins favorable aux classes populaires et moyennes et surtout aux plus pauvres de la société.
Mais un tel système suppose… qu’il y ait toujours des riches pour pouvoir les taxer indéfiniment !
Ou répartition à la source ?
Partant du constat que la richesse existe bel et bien, et en grande quantité, on pourrait mettre en œuvre un système de répartition plus simple et plus efficace. Plutôt que de réduire les inégalités a posteriori par la voie fiscale, pourquoi ne pas réduire les inégalités à la source, lors de la distribution primaire des revenus ?
Cette distribution primaire est réalisée par les entreprises avant toute correction fiscale. La richesse de notre pays est produite par 4 millions d’entreprises, dont environ seulement 3000 en produisent la moitié. Notre proposition de Sécurité Économique et Sociale consisterait en une répartition à la source de sa production dans les entreprises via un régime obligatoire comme l’est aujourd’hui la Sécurité Sociale.
Un pourcentage des flux positifs de trésorerie des entreprises serait ainsi prélevé chaque mois puis instantanément et intégralement réparti entre toutes les entreprises sur la base d’une allocation identique pour chacun de ses emplois. Un transfert de richesse s’effectuerait ainsi régulièrement et continuellement depuis les secteurs économiques les plus rentables vers ceux qui le sont moins.
Ceci permettrait de se garantir définitivement contre les rémunérations du travail insuffisantes pour vivre décemment. Ceci permettrait à de nombreuses activités actuellement incapables de financer un salaire minimum de devenir des emplois.
Ce transfert ne s’effectuerait donc pas entre individus, des milliardaires et riches millionnaires vers les membres des classes populaires et moyennes mais entre entreprises et cela sans aucune aide prélevée sur les ressources fiscales de l’État.
Ceci aboutirait à responsabiliser les grandes entreprises qui contribueraient ainsi à assurer le plein emploi dans nos économies avec des revenus du travail toujours satisfaisants.
Cela aurait comme effet de baisser significativement les valorisations des entreprises les plus riches, réduisant ainsi la fortune des milliardaires (ce point sera développé dans un article à venir).
Cela éviterait ainsi à la gauche des contorsions politiques sophistiquées consistant, au nom de la Liberté, à laisser se faire, voire à certaines époques à favoriser (cf. la période Bernard Tapie), d’énormes enrichissements pour pouvoir ensuite, au nom de l’Égalité, voire de la Fraternité, les ponctionner par l’impôt… mais cependant pas trop pour ne pas donner aux très riches l’envie de quitter le pays et de tarir ainsi la source des prélèvements.
Répartition à la source contre redistribution après taxation, vous penserez peut-être que cela revient au même ? Non, car la SES responsabiliserait les grandes entreprises et les multinationales à l’égard de l’emploi et permettrait une société plus cohérente et solidaire. Une majeure partie des entreprises serait bénéficiaire nette de la mesure. Si vous êtes entrepreneur ou indépendant, vous pourrez vous en convaincre en utilisant le simulateur que nous avons mis au point.
Vivre sans être milliardaire
En un mot, nous proposons d’éviter aux très riches de le devenir excessivement, afin qu’ils ne ressentent pas le désir de s’accrocher à une accumulation socialement et humainement inutile.
Et, parce que nous sommes réellement humanistes, nous le proposons y compris pour eux-mêmes, devenus addicts de la compétition « J’ai une plus grosse fortune que la tienne » au point d’être tentés de la protéger par l’optimisation, voire l’évasion ou même la fraude fiscales.
Cela parce qu’ils souffrent sincèrement, face à l’impôt, d’un sentiment de spoliation de ce que le marché leur a donné naturellement, ce qui les pousse à voter souvent très à droite. À cet égard, la réduction des inégalités à la source est toujours plus indolore que la reprise par taxation.
Selon OXFAM, la fortune des dix hommes les plus riches du monde a augmenté de presque 100 millions par jour en moyenne entre 2023 et 2024. Même si les 5 trillionaires (plus de 1000 milliards de patrimoine) perdaient 99 % de leur fortune du jour au lendemain, ils resteraient milliardaires. On peut imaginer que si les autres milliardaires perdaient 90 % de leur fortune, avec les 100 millions qui leur resteraient, ils ne manqueraient de rien pour vivre confortablement jusqu’à la fin de leurs jours. Et ce même si nous ne sommes pas dans ces ordres de grandeur avec la Sécurité économique et sociale…
